En France, le mouvement de l’expressionnisme a longtemps été rejeté car considéré comme une calamité germanique, une sorte d’enfer des autres tout au moins l'effondrement esthétique résultant d'une débâcle guerrière, politique et cosmopolite. Cet art plastique, convulsif et avorté, traduirait la faillite historique du peuple allemand et de ses élites.
C’est à Dresde, en 1905 considérée comme une année charnière, que le groupe die Brücke, le pont réalise les premières manifestations de groupe contre le conformisme ambiant. En effet, le 9 février meurt Adolph von Menzel. Réputé pour ses études sur l'impressionnisme français, Julius Meier-Graefe a évoqué, dans son ouvrage consacré au Développement historique de l'art moderne, le sens de son œuvre pour les Allemands de l'époque : « Menzel épuise notre réalité comme Delacroix notre rêve ».Tellement que les particularités proprement allemandes de l'Allemagne contemporaine sont absorbées par Menzel comme une énorme éponge et n'ont pas les apparences d'une atmosphère locale, mais existent en tant que symbole universel. Pour beaucoup de membres de la génération artistique encore en herbe, la disparition de Menzel équivaut à l'abrogation de son exemplarité tutélaire, en même temps qu'à l'enterrement de la peinture du 19ème siècle. Voilà l'état d'esprit qui pousse quelques mois plus tard, en juin 1905 ,quatre étudiants en architecture à l'École technique supérieure de Dresde à s'associer en une communauté d'avant-garde, baptisée Die Brücke, ou Le Pont : Fritz Bleyl (1880-1966), Erich Heckel (1883-1970), Ernst Ludwig Kirchner (1880-1938), Karl Schmidt-Rottluff (1884-1976). Le nom donné au mouvement a d’ailleurs été choisi par ce dernier. Pour lui, il s'agit d'un symbole : un pont est symbolique et permet le passage d'une rive à une autre, autrement dit le moyen de s'évader vers un autre territoire, loin de toutes les contraintes imposées. En 1906, le groupe initial accueille Max Pechstein (1881-1955) et, pour un an seulement, d'Emil Nolde (1867-1956), qui a accepté de s'y intégrer sur la proposition de Schmidt-Rottluff. La tête pensante en est le fameux Kirchner, un peu plus âgé que ses camarades. Sur un bois gravé, il représente en 1905 une vue de Dresde : le pont de la reine Auguste, qui relie la ville ancienne à la ville nouvelle. En 1906, Kirchner annonce le programme du groupe qui, par les mots cette fois, synthétise la nécessité du passage commun de l'ancien vers le nouveau. En quelques lignes, une volonté collective de rupture avec le passé et une exaltation de l'intuition créatrice.